[Flood écrit] Propaganda style !

De l'organisation du travail et ses limites dans un semi - réel.
Taylorisme et management : analyse marxiste d'un semi - réel "Vampire" à Bordeaux en 2012

Les impératifs de la productivité sont de puissants éléments de normes dans les activités humaines, qui, véhiculés par de zélés plaideurs et des forces économiques (les logiques d'accumulation du capital, la baisse tendancielle du taux de profit notamment, et plus conjoncturellement la crise économique présente du capitalisme mondial). Là où l'existence de ces normes comme système de pensée - d'aucun diront un dogme - dans le monde économique pose des problèmes grave aux salariés, des gens inquiets froncent les sourcils en voyant ce même système de norme, ce même dogme, s'exporter du champ économique dans tous les aspects de la société. Ce n'était qu'une question de temps avant que le fléau ne touche l'univers du jeu de rôle. Ile dogme n'attendait qu'un cheval de Troie : las, les organisateurs du semi - réel "Semper Eadem" à Bordeaux auront donc fait office d'Achéens du libéralisme, assiégeant la forteresse ludique qu'était le jeu de rôle - laquelle sera sans nul doute bientôt la proie des flammes néolibérales, accumulatrices et productivistes, en bref la proie des feux du capital.

Économie structurelle d'un jeu de rôle semi - réel.

Nous ne sommes pas dupe. La forme "semi - réel" du jeu de rôle est peut - être la forme la plus propre à l'industrialisation du "rôlisme" ; elle cumule les contraintes du nombre de joueurs, de la durée, de la difficulté d'organisation, toutes contraintes au final qui se résument à la contrainte de la masse horaire du travail. Cette contrainte appelle à une rationalisation du travail, à une organisation du travail, et souvent, à une division du travail - entre les organisateurs (dont certains se voient assigner tels ou tels joueurs, tels ou tels intriguent, certain le matériel, certain les réservations de salles, etc.), entre les joueurs et les organisateurs (on reviendra plus tard sur cet aspect). Le ver était donc dans le fruit depuis le début, poussé qu'il y était par les contraintes des logiques de l'histoire, de la lutte des classes et des règles de réservation du centre d'animation du Grand Parc. Au sein de cette économie structurelle tournée vers l'industrialisation et l'éclatement du travail, on peut également observer un phénomène d'automation (la généralisation de l'automatisation de la chaine de production, voir Pierre Naville), lequel se manifeste par l'usage des forums, des mails (souvent groupés) - lesquelles imposent un format, standardisent et sacralisent une production écrite, déshumanisent le jeu.

Ces fondations expliquent peut - être que l'offensive néolibérale perpétrée par les organisateurs de Semper Eadem soit en train de passer inaperçu, et qu'elle a sans doute vocation à y fleurir. C'est le rôle du sociologue que de déconstruire le "bon sens" des mesures de rationalisation des post, et de lever le voile de la naturalisation de ce qui est en fait une organisation du travail touchant tout à la fois au taylorisme et au management. Nous voyons d'ailleurs que l'équipe d'organisateur avait prévu la contestation et un moyen de la subvertir à ses intérêts, en introduisant le défaut "Gratteur de pex". - laissant la sanction de celui - ci à la discrétion des orgas, et donc à des logiques arbitraires, népotistes, ploutocrates et bourgeoises !

Nous parlerons souvent des organisateurs, mais il n'y a pas d'organisateur sans joueurs pour le suivre : la bourgeoisie à son Lumpen Prolétariat, les organisateurs ont leurs Lumpen Ludius, leurs "joueurs en haillons", qui réclament de pouvoir tout faire en quelques PA. Camarade, si tu me lis, tu te trompes de combat ! Et je te prie de considérer les lignes qui suivre, puissent - elles te convaincre de rejoindre le parti de la révolution ludique, celui de tous les prolétaires du jeu de rôle !

Accentuation de la tendance tayloriste : recherche d'une "one best way" du jeu de rôle au sein de Semper Eadem.

Le taylorisme est la recherche de la "one best way" d'organiser une chaine de production et de travail, la manière optimale de décomposer une production en une série d'actions facilement reproductibles. La "chaine" d'actions doit se composer du minimum de gestes les plus simples possibles, permettant une division du travail en postes. Là où un ouvrier confectionnait une épingle entière, il se contente maintenant de couler la forme générale dans le métal, de faire le trou de la tête de l'épingle, d'aiguiser la pointe, et ses collègues de même, chacun faisant l'une des taches nécessaires à la confection de l'épingle.
La méthode est efficace si l'on vise l'accroissement de la productivité : elle a historiquement été la cause de l'augmentation de la production industrielle dans les pays occidentaux. Mais elle s'accompagne également de mécanismes aliénant, de dégradation des conditions de travail des salariés, de dévaluation de leurs compétences, d'amoindrissement de leur valeur en tant qu'individu - tant le rapport au travail est important au sein des sociétés industrielles. Or, toutes ces pernicieuses évolutions sont l'oeuvre d'une politique volontariste de la part des organisateurs de Semper Eadem.

Les organisateurs ont en effet initié une politique systématique de décomposition de l'activité des joueurs, en forums, sous - forums, en catégories, en gestes de jeu, reproductibles et simples. Ce fut d'abord la création des refuges, et la décomposition de la fiche de personnage - rien n'est donc sacré aux yeux du capital ??! - en sous sections, à des fins d'efficacité et de lisibilité. Ainsi nos personnages se retrouvent morcelés et niés dans leur existence comme individus complets et cohérents, réduits à des catégories interchangeables. Puis, tout dernièrement, c'est la formulation de nos actions elle - même qui a fait les frais de l'effort de standardisation et de division du travail, en se retrouvant divisées en cinq opérations cognitives différentes. Sans détailler ici ce qui sera l'objet d'un article plus détaillé - portant sur le rapport dialectique entre formulation de l'action et réalité de l'action - nous pouvons déjà remarquer deux choses : d'une part, là encore la rationalisation se fait par la standardisation - privilégiant la gestion d'un stock à la possibilité créative - et d'autre part, ce qui est sans doute plus important, c'est que cette démarche est une pente savonneuse. Au nom de la clarté du propos et de la lisibilité, l'on pourrait diviser, re-diviser, sub-diviser encore, et encore, et encore, jusqu'à ce qu'action et personnages ne soient plus qu'une centaine de catégories dépourvues de sens. C'est la limite de l'application du Taylorisme à l'activité ludique : à trop diviser la formulation dans une activité qui est essentiellement performative, on perd le sens du jeu.

C'est plus une fuite en avant productiviste motivée par l'accumulation de capital (donc de PA et d'actions) tant du fait des joueurs que des organisateurs. Elle est vaine : toujours, par les lois de la dynamique du matérialisme historique et du grattage des actions, la masse de travail demandée précédera la capacité de traitement de ce travail, plaçant le semi - réel en crise systémique de surproduction. Du moins, toujours tant que la logique productiviste dominera.

Vers la délégation et la parcellisation de la responsabilité : le management, des organisateurs vers les joueurs.

L'action politique des organisateurs, classes ludique dominante, structurée et active au sein du semi - réel, se double d'un autre aspect. Pour maintenir son emprise et assurer la bonne production, la bonne accumulation, la bonne croissance des actions, ils ont eu recours à la nouvelle norme de l'organisation du travail sous le capitalisme : le management. Ce mode d'organisation du travail passe par plusieurs éléments : la délégation du travail de manière hiérarchique au sein de l'unité productive - ici le semi - réel Semper Eadem , l'auto - surveillance des salariés, vis - à - vis d'eux même ou de leurs collègue - ici des joueurs, donc. C'est le sens même de l'acte qui confie aux joueurs la mise en place du taylorisme exposé plus haut : la responsabilité est sur les joueurs seuls, ou du moins, on se trouve dans des régimes de responsabilités séparés entre joueurs et organisateurs : responsabilité du format tayloriste à respecter pour les joueurs, responsabilité d'un délai raisonnable de réponses pour les organisateurs. Cette mise sur un pied d'égalité n'est pas par ailleurs injustifiée. Elle trouve sa raison d'être dans l'inégalité et l'asymétrie, et de l'information, et de l'emprise sur les règles, et de la pression sociale de part et d'autre.

En ce qui concerne l'asymétrie d'information et d'emprises sur les règles, le déséquilibre se fait au bénéfices des organisateurs, qui édictent les dites règles dans un régime qui tient autant de la démocratie que la République Populaire de Chine ne tient du parlementarisme, et qui maitrisent les canaux d'informations à un degré individuel et collectif inégalé même par les réseaux de joueurs les plus fonctionnels. Qui plus est, ils écrivent la réalité du jeu. Il est donc logique qu'ils en soient les mieux informés. Nous pouvons néanmoins nuancer : il arrive que les joueurs "niquent le scénar' ". On reviendra sur les conséquences politiques de cette possibilité.
Ce pouvoir sur le semi - réel va avec le boulet de la demande sociale. La réputation d'un jeu de rôle devient souvent la réputation de ses organisateurs, et il est souvent demandé aux organisateurs, par les joueurs, des prouesses et des services de manière à la fois inconsidérée pour leur vie personnelle - et nous retrouvons ici les logiques du capital, écrasant de la même manière vie privée et intimité dans les rouages du productivisme , peu délicate dans la forme le plus souvent, et injuste quand aux travail fourni par les organisateurs de manière, au fond, bénévole. Cette dimension de la demande est importante.

Ces deux dimensions structurent l'asymétrie de position entre les joueurs et les orgas. Elle justifie des dispositif de mise à égalité. Mais la réponse des organisateurs de Semper Eadem va dans le sens de la fuite en avant, dans le sens de l'encouragement - par l'encadrement des délais - de la tendance à la demande de "toujours plus" par les joueurs, et dans le sens de la sacralisation de la déshumanisation par la standardisation du format du jeu - au nom de la même logique - par les même joueurs. Les organisateurs, les joueurs sont ainsi faits agents du capital, malgré eux, malgré nous, transformés par une logique impérialiste en petits soldats de la réaction silencieuse. Las, ce serait faire foint de notre capacité d'organisation et de subversion ! Car camarade, il y a de l'espoir ! Le salut est dans la lutte, en front commun, contre la norme managéro - tayloriste, pour un jeu ludique, familial, populaire !


Jeu de rôle familial ou industriel ? Pour une organisation asymétrique, répondant à des joueurs asymétriques.

Nous manquons de données pour élargir cette analyse aux relations entre organisateurs, mais le couple Taylorisme/Management est une norme impérialiste. Nulle doute que les organisateurs sont eux même travaillés par des logiqes de division, de hiérarchie, de contrôle, et qu'au final la lutte des classes fait rage, quoi que sans doute de manière plus insidieuse en leur sein. Camarade organisateur, rejoins nos rang, nous qui luttons pour un monde meilleur ! Ton ennemi n'est pas le joueur qui envoie des posts incompréhensibles, pas plus que l'ennemi de celui - ci n'est l'orga qui tarde à répondre. Le combat doit être mené contre un système qui fait la part belle à la quantité de l'action au détriment de la qualité du jeu. Joueurs et organisateurs, unissons nous dans un front commun et populaire pour un jeu libéré des contradiction du capitalisme productiviste !

Nous pouvons jouer moins, et jouer mieux. L'effort, volontaire et sans doute bien intentionné - mais l'enfer capitaliste est pavé de bonnes intentions ploutocratiques - est motivé par la volonté de gérer un flux d'action qu'organisateurs comme joueurs se limitent à voir comme voué à la croissance. La croyance alimente alors le réel : alors que l'on rationalise l'organisation du traitement du jeu, le stock de celui - ci augmente. C'est toute la crise systémique de surproduction qui affecte le semi - réel Semper Eadem ! Une machine qui s'auto - alimente, et qui finira par sombrer dans les abysses infernales, entrainant par un effet de château de carte en domino toute l'économie du monde moderne avec lui. Nous ne pouvons donc continuer dans cette voie mortifère, dont les prochaines étapes conceptuelles est l'instauration du Pexage Horaire et la Titrisation du Pex, lesquels finirait de nous faire passer dans le cadre d'une économie ludique salariale de marché spéculative.

Nous appelons à l'organisation du front commun et populaire entre joueurs et organisateurs, pour trouver une issue révolutionnaire - révolutionnaire par nécessité, car seule la révolution peut nous permettre de passer de ce système au suivant, suivant qui ne saurait être que le communisme ludique où l'on est joueur de semi - réel le matin, PNJ l'après midi et Maître de Jeu à Loup Garou le soir. Nous formulons à l'attention de ce front quelques simples proposition.

L'abandon de l'objectif de quantité par les joueurs et les organisateurs. Cette révolution culturelle, ce retour à la "terre conceptuelle" est impératif, et en matière ludique on peut dire que l'idée est la matière et donc qu'elle gouverne la matière : le jeu n'est pas fait pour que la capacité de jeu des joueurs - comme individus - croisse sans cesse, il est fait pour que tout le monde s'amuse. Aussi il ne faut pas gérer un flux toujours croissant d'action : il faut traiter de manière qualitativement excitante une ou deux actions des joueurs pour qu'ils s'amusent. À cette fin, une seule action de joueur devrait être postée à la fois, et les suivantes une fois ces actions traitées.

La gestion asymétrique du jeu. Tous les joueurs n'ont pas les mêmes objectifs ni la même disponibilité. Il n'est pas forcément incroyablement injuste qu'un joueur face trois actions et un autre une seule. Les joueurs comme les orgas doivent discuter, individuellement, sur le temps que chacun est prét à consacrer au jeu, et admettre que tous ne jouent pas avec la même intensité. Cela n'affectera pas forcément l'intérêt que l'on a pour le jeu et le "fun", ce pendant ludique de l'émancipation prolétarienne. La qualité, le bonheur, la joie et la liberté peuvent être trouvés dans un seul PA là où ils sont néant dans une dizaine d'autres.

Une conception familiale et conviviale coercitive. Les organisateurs ont entre le main le pouvoir le plus totalitaire qui soit : celui de Dieu sur son univers. Outre que cela flattera l'égo de quelques lecteurs, cela implique de se rappeler des paroles d'un grand martyr de la cause ouvrière : "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités" (Ben Parker). Le jeu, l'univers, les objectifs des deux peuvent être mis en place de manière collective avec les acteurs de celui - ci, les joueurs, par deux aspects : d'une part, une petite politesse réciproque (les joueurs n'agressent pas les organisateurss quand trop de temps s'écoule entre deux mails, et les orgas font preuve d'une diligence minimale - accuser réception des messages des joueurs, par exemple), d'autre part une discussion régulière entre joueur et orga (les deux au singulier) sur le ressenti du semi - réel et les avis sur son orientation narrative et ludique, permettant une utilisation éclairée d'un pouvoir politique immense, qui sera par la même sans cesse remis par le peuple des joueurs au main des commissaires politico-ludiques glorieusement proclamés que deviendraient les organisateurs.


Nous avons fait long, mais la dialectique, tant elle casse des briques, ne saurait faire court. Gloire au semi réel libre et socialiste ! Gloire aux joueurs et aux organisateurs unis, libres et fraternels ! Gloire à la victoire du communisme ludique !